Liban : Ni ministre ni même politique, la femme attendra…
De conditions en concessions, la formation du gouvernement continue de piétiner.
Sans minimiser les enjeux en cause (la réconciliation et ses garanties, le décodage des intentions déclarées, leur efficacité...), une remarque sur l'absence – quasiment confirmée – des femmes dans le prochain gouvernement s'impose.
L'occultation de la femme ne supporte aucun atermoiement : elle trahit les tares d'un système anticitoyen.
L'évolution de la situation de la femme signe l'avancée de la démocratie.
Mais les réactions recueillies auprès des hommes politiques sur la participation féminine au prochain gouvernement révèlent leur approche profondément lacunaire de la liberté.
Classifier la femme sur base d'une catégorie en tant que telle, comme ils continuent de le faire, c'est limiter son émancipation à un beau slogan figé, celui d'un semblant de force enrobé de rose et de satin. Cette image cotonneuse se marie parfaitement aux lois défaillantes, injustes, ou encore inexistantes qui réglementent le statut de la femme au Liban.
« Si cela me revenait, j'aurais souhaité que le gouvernement soit composé à moitié de femmes : elles ont l'intelligence politique et sont dignes d'être chargées de responsabilités à ce niveau », avait déclaré le chef du courant du Futur, le député Saad Hariri, lors de sa dernière entrevue télévisée.
Cette déclaration, tweetée par la journaliste Paula Yacoubian, a provoqué plus d'une raillerie chez les femmes qui suivent la page Facebook de l'ONG Women in Front. « Joli compliment », écrit l'une d'elles, ajoutant le vers d'une chansonnette pour enfants. « Paroles, paroles », « nous voulons des actes », peut-on surtout lire.
Que de paroles L'Orient-Le Jour a pu entendre chez les politiques.
« J'aurais bien aimé être celui qui forme le gouvernement, la moitié du cabinet aurait été composée de femmes », affirme Mohammad Machnouk, conseiller du Premier ministre désigné, pressenti pour le portefeuille du ministère de l'Intérieur. Tammam Salam avait pourtant retenu, parmi les constantes ayant inauguré en force le début de sa mission, l'incorporation de « l'élément féminin » au sein de l'équipe ministérielle. « Certes », répond Mohammad Machnouk, « mais plus maintenant »... Cela s'entend : la rotation des portefeuilles est elle aussi remise en cause. La femme, elle, peut bien attendre.
Tous assurent pourtant que « rien n'est tranché », qu'« on peut toujours voir une femme au prochain cabinet », que « tout se joue à la dernière minute au Liban, comme vous le savez ».
Il va falloir donc que cet « élément féminin » franchisse, en plus de son statut de minorité – une minorité de surcroît non reconnue par les coutumes – le double critère de l'appartenance confessionnelle, d'une part, et de l'affinité politique, d'autre part.
« Notre bloc ne peut pas garantir la participation des femmes, puisque nous sommes limités à deux portefeuilles pour l'instant », affirme le député Alain Aoun, membre du Changement et de la Réforme. Il revient à cette occasion sur « les éléments qui compliquent » la participation de la femme. Cela ne le retient pas de lancer, « franchement, sans détours », cette affirmation solennelle : « Nous aimons toujours voir une femme au sein du cabinet... » Peut-être parce que les effluves d'un parfum féminin au Grand Sérail pourraient toujours agrémenter le décor, ou peut-être bien servir à décanter les périodes de crise.
Mais non, ce n'est pas vraiment cela... La vérité serait que « le libéralisme féminin contraste avec les opportunités politiques que limite un mécanisme déjà difficile à percer », comme le relève méticuleusement le ministre Nazem Khoury. Le président de la République, qui a déjà accordé un portefeuille à une femme jusque-là, n'est-il pas le mieux placé pour percer ce « mécanisme » ? Pourquoi rompre avec la tradition qu'il avait amorcée ?
Reconnaître « l'existence » de la femme, « l'autre moitié des êtres humains au Liban », c'est reconnaître la citoyenneté de ces individus, leur singularité, leur pensée, leurs faiblesses et leurs forces. C'est ce que souhaitent les femmes, comme le rappelle à L'OLJ Joëlle Bou Farhat, cofondatrice de Women in Front, l'une des ONG qui participent à la campagne nationale « Nous voulons la participation des femmes au gouvernement ».
Une délégation de la campagne s'est d'ailleurs déjà rendue il y a quelques jours à Baabda, et avant cela, il y a dix mois, à Mousseitbé. C'est néanmoins sur les législatives et les municipales, qui sont des élections et non des nominations, que se joue surtout le pari de ces femmes.
Vera Yammine, membre du bureau politique et porte-parole du courant des Marada, a relevé le défi de percer le système, grâce à ses débuts dans le journalisme politique. Elle estime que « c'est une crise de l'humain que vit le Liban, où la culture de l'individu est diluée ». Si la femme n'est pas la seule victime, « il lui arrive aussi d'être son propre bourreau ». « Le combat reste un devoir pour tous », déclare-t-elle à L'OLJ. Le combat ne supporte pas le défaitisme.
Que la femme échoue drastiquement en politique ou excelle, qu'elle façonne la paix ou provoque la guerre, ce n'est pas cela qui définira son droit à faire de la politique. Parce que ce droit est bien fondamental. Continuer d'en débattre, en revanche, est d'un pitoyable anachronisme.
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Envoyé de mon Ipad
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