mardi 13 janvier 2015

Egalité hommes-femmes, une conquête inachevée et paradoxale

Egalité hommes-femmes, une conquête inachevée et paradoxale

La marche paradoxale des femmes vers l'émancipation

Une femme libanaise habillée en homme lors d'une manifestation contre les inégalités de genre au Liban en 2011.

La progression vers l'égalité entre femmes et hommes est réelle, mais le chemin est encore long. « Les avancées sont inabouties et paradoxales », écrivent les auteurs de l'Atlas mondial des femmes, premier du genre, présenté, lundi 12 janvier, par l'Institut national d'études démographiques (INED) et publié par les éditions Autrement.

La cause du droit des femmes est relativement récente : ce n'est qu'en 1945 que les Nations unies ont adopté une charte établissant des principes généraux d'égalité entre les sexes. Depuis, plusieurs conférences internationales ont permis de préciser les objectifs. Le 18 décembre 1979, l'Assemblée générale de l'ONU a notamment adopté la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Et la quatrième conférence mondiale de Pékin, en 1995 − dont les Nations unies préparent le vingtième anniversaire −, s'est conclue sur une déclaration et un programme d'action pour l'autonomisation sociale, économique et politique des femmes.

Moins nombreuses que les hommes

Sur près de 7,4 milliards d'humains, les femmes sont minoritaires. Elles étaient plus nombreuses que les hommes jusque dans les années 1950.

Où en est-on réellement aujourd'hui ? « Il y a des avancées dans un très grand nombre de domaines comme la santé, l'instruction… mais on voit aussi des situations se dégrader », explique Isabelle Attané, démographe de l'INED et coresponsable de l'Atlas. Moins nombreuses que les hommes sur la planète depuis les années 1950 – les femmes sont 3,6 milliards sur près de 7,4 milliards d'humains –, elles vivent plus longtemps, et ce partout dans le monde. Mais c'est un des rares avantages qu'elles peuvent revendiquer par rapport à la gente masculine. En 2010, le risque pour un homme de mourir à 20 ans était ainsi presque trois fois plus élevé que pour une jeune femme. Las, cette espérance de vie plus longue cache une dégradation de la santé plus importante pour les femmes, liée notamment aux « difficultés rencontrées parfois pour concilier la vie professionnelle et la vie familiale, les activités domestiques mobilisant davantage les femmes que les hommes, y compris celles qui travaillent », écrit la démographe Emmanuelle Cambois.

Pour le reste, les inégalités sont systématiquement en leur défaveur. Particulièrement exposées dans la vie domestique, ce sont elles aussi qui subissent davantage les violences sexuelles (75 à 85 %). Celles-ci augmentent dans les statistiques, mais cela est dû, explique la sociologue Alice Debauche, à une certaine « libération de la parole des femmes ». En France par exemple, le nombre de plaintes pour viol est passé d'environ un millier par an dans les années 1980 à dix fois plus dans les années 2000. La mesure et la comparaison de cette violence restent toutefois difficiles, tant les définitions légales des viols, agressions ou harcèlements, les possibilités de rompre le silence, etc. diffèrent d'un pays à l'autre.

L'augmentation des violences sexuelles, une des formes de violence contre les femmes, dans les statistiques est aussi due à la parole qui se libère.

Plus inquiètes pour leur emploi

Dans le secteur économique, l'accès à l'emploi progresse mais « on constate que les femmes restent une variable d'ajustement privilégiée dans un contexte de libéralisation et la crise économiques », avance Mme Attané. Dans les pays où les emplois informels et domestiques sont importants, cette réalité peut être moins perceptible. Mais la vulnérabilité plus forte des femmes est bien réelle. Plus souvent au chômage, elles ont aussi plus de risque de perdre leur emploi. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à estimer avoir un risque de perdre leur emploi dans les six prochains mois dans de nombreux pays : Finlande (17 % contre 11 %), au Danemark (11 % et 7 %), en Belgique (près de 10 % et 4 %), en Espagne ou encore en Autriche. Dans les autres pays, comme la France, le Portugal ou le Royaume Uni, la menace pesant d'abord sur des secteurs d'activité traditionnellement masculins expliquerait une moindre inquiétude des femmes.

L'emploi des femmes reste cantonné aux postes les moins valorisés, dans l'agriculture, le commerce et les services. Elles sont moins payées et davantage touchées par la pauvreté. Aux Etats-Unis, le taux de pauvreté des femmes était de 14,5 % contre 10,9 % pour les hommes (2 011). Et surtout, les femmes continuent de faire des doubles journées : elles subissent majoritairement le travail domestique (vaisselle, ménage, rangement, soin aux enfants et personnes dépendantes, etc.). En France, ces tâches les occupent à raison de 20 h 32 par semaine contre 8 h 38 pour les hommes. Si l'on intègre le bricolage, le jardinage, les courses ou les jeux avec les enfants, le déséquilibre se réduit à peine, 26 h 15 pour les femmes contre 16 h 20 pour les hommes.

La gestion de front des charges familiales, qu'elles assument majoritairement, et professionnelles est particulièrement difficile pour les mères de jeunes enfants (ici, les chiffres en France).

« L'égalité des sexes proclamée dans de nombreux textes n'est pas un bien acquis, il faut alerter sur les blocages, prévient Isabelle Attané. Dans la sphère privée par exemple, les représentations restent compliquées. » On connaît les orientations scolaires guidées par la socialisation du genre, déjà présente dans les familles. Les femmes ne représentent la majorité des diplômé-e-s en sciences que dans deux régions, l'Asie centrale, d'une part, et le Moyen-Orient et le nord de l'Afrique, d'autre part. En Europe occidentale et en Amérique du Nord, très peu présentes dans les filières de l'informatique et de l'ingénierie, elles dominent les secteurs de santé, de la protection sociale et de l'enfance.

Les inégalités se sont déplacées, estime Wilfried Rault, sociologue à l'INED et coresponsable de l'ouvrage. « Avec les taux de scolarisation en progrès pour les filles, on s'aperçoit que le choix des filières et l'accès à certaines professions sont plus ségrégatifs, dit-il. Cela existait déjà mais le curseur se déplace : les inégalités interviennent plus tard. »

Le cinéma, un milieu d'homme

Dans le cinéma, note Brigitte Rollet, spécialiste de l'audiovisuel et enseignante à Sciences-Po, les femmes ont représenté 86 % des emplois dans le secteur du décor, 62 % dans celui du scénario, mais 32 % dans la réalisation ou 22 % dans le son, d'après l'étude de dix promotions successives d'étudiants de la Fémis, l'école nationale supérieure des métiers de l'image et du son, lors des années 2000-2010. Le milieu du cinéma, malgré les icônes féminines présentes sur les affiches, est très masculin. Ainsi, la part des femmes n'est que de 12 % au comité de rédaction de Positif, 18 % à Première et 22 % dans les Cahiers du cinéma. Elles étaient inexistantes au sein du conseil d'administration (CA) d'UGC en 2013, seulement 25 % chez Pathé et 30 % au CA de Studio Canal et à celui de Gaumont. Et pour peaufiner l'instantané peu glorieux, depuis la création des César en 1976, une seule femme, Tonie Marshall, a reçu celui de « meilleur réalisateur ».

"Les réalisatrices qui obtiennent la reconnaissance de leur pairs sont rares", écrit la spécialiste du cinéma et de la télévision, Brigitte Rollet.

Offensive des conservatismes

L'offensive des conservatismes, au niveau international comme national, au travers d'Etats comme le Vatican ou les pays les plus intégristes d'Afrique ou du Golfe, ralentit cette marche vers l'égalité. Au-delà des plus réactionnaires, de nombreux Etats rechignent à ce que des textes internationaux fixent des règles. Jusqu'en Europe sur le droit à l'avortement, comme en Espagne et en Italie, ou le débat du genre en France. « Il y a une confusion réelle entre la question de l'égalité et celle de la différence, estime ainsi Wilfried Rault. Il n'existe pas d'invariant naturel qui toucherait les femmes et les hommes. Et aucun discours ne peut justifier l'inégalité. » Autrement dit par Simone de Beauvoir en 1949, « on ne naît pas femme, on le devient » (Le deuxième sexe).

Pour compliquer encore cette longue marche vers l'égalité, les améliorations constatées peuvent générer aussi de nouveaux problèmes. Par exemple, l'accès à la contraception met plus de pression sur les femmes que sur les hommes, créant une nouvelle inégalité. De tous les moyens contraceptifs, la stérilisation féminine est la plus employée dans le monde (18,9 %), devant le stérilet (14,3 %) ou la pilule (8,8 %) et loin devant le préservatif masculin (7,6 %). « Cette stérilisation des femmes, ultra-majoritaire au Brésil, au Mexique, leur ferme définitivement la voie de la maternité, après leurs premiers enfants, alors que les hommes peuvent toujours être pères, explique Carole Brugeilles, démographe et enseignante à l'université Paris Ouest, la troisième coresponsable de l'Atlas. Autre exemple, la médicalisation de l'accouchement, un progrès incontestable, aboutit parfois à une surmédicalisation préjudiciable à la santé des femmes. Lorsque plus de 30 % des accouchements, par exemple, se font par césarienne, celle-ci, qu'il faut rendre accessible à toutes les femmes qui en ont besoin (ce qui n'est pas encore le cas), peut ne plus être perçue comme un progrès et même être considérée comme "une violence". »

Les femmes ont mis plus d'un siècle à conquérir le droit de vote dans le monde.

Les inégalités entre hommes et femmes se reconfigurent, se déplacent, s'euphémisent, disent les auteurs de l'Atlas. Pour celles qui ont mis plus d'un siècle à conquérir le droit de vote – les Néo-Zélandaises votent depuis 1893 quand les Koweïtiennes ont participé à un scrutin municipal pour la première fois en 2006 – et qui ne sont toujours pas électrices en Arabie Saoudite, les inégalités sont loin de disparaître.



Envoyé de mon Ipad 

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